Sur les traces du tapis du Guergour
Dans toutes les régions d’Algérie, le tissage de tapis en laine existait depuis très longtemps et son évolution s’est faite progressivement en donnant une multitude de types de tapis tels que ceux des Nemenchas, du M’zab, de Biskra, de Tlemcen, de Zemourah, du Guergour, etc. Ici, il sera question de relater brièvement l’histoire du Tapis du Guergour, en se basant sur une contribution à son étude, de L. Godon et A. Walter, publiée dans : Cahiers des Arts et Techniques d’Afrique du Nord, 1951-1952. Le numéro de ces cahiers, dans lequel figure cette contribution, est disponible à la chambre d’artisanat et des métiers de Sétif (CAM).
Le Tapis du Guergour qui nous intéresse ici est celui attribué à son créateur nommé Méziane Bouazza (appelé aussi Bouazzaoui), par différenciation avec les anciens types de tapis tissés dans la localité du Guergour et ses environs, de moindre qualité et de décors moins riche.
Selon, Kouadi Amokrane, auteur de l’histoire du Reggam Méziane Bouazza, un soldat originaire de Sétif, nommé Mohamed Benlekhloufi, en revenant d’Orient, ramène de Turquie un tapis que deux reggams associés du Guergour, Si Salah Benlaabed et Mohamed Said El Yahaoui, ont examiné avec beaucoup d’attention. L’ayant trouvé de qualité supérieure à ceux fabriqués localement, les deux reggams l’ont alors copié et mettent Méziane Bouazza au courant de leurs nouvelles techniques. Ce dernier est alors devenu l’associé de Si Salah Benlaabed et crée un nouveau genre appelé tapis du Guergour.
Le tapis du Guergour qui faisait le bonheur et la joie des familles riches de la région n’est plus fabriqué depuis la mort de Méziane Bouazza en 1915. Des tentatives de reproduction de ce genre de tapis ont été initiées sans y parvenir. Les causes apparentes sont :
- Méziane Bouazza n’a pas transmis ses techniques de tissage et de teinture naturelle à ses enfants et aux autres,
- Le tapis du Guergour était surtout demandé par les familles riches eut égard à leur pouvoir d’achat et à leur penchant pour les produits plus raffinés et plus beaux.
- La fabrication industrielle de tapis à moindre coût qui attirent de plus en plus de clients,
- L’absence de centres ou foyers d’apprentissage de ce genre de tissage. Ceci est vérifiable, puisque la formation professionnelle n’a vu le jour en Algérie qu’à partir de 1947 avec mission de former essentiellement la main d’œuvre utile à la reconstruction du pays colonisateur (la France), après la seconde guerre mondiale. Les premiers établissements étaient peu nombreux et formaient surtout dans les métiers du bâtiment et travaux publics. C’était le cas des CFPA de Sétif (Bel Air), de Béjaia et de Sidi Aich, pour ne citer que ceux-là.
Un des tapis fabriqué par Méziane Bouazza mesure 6,15 m de long et 2,10 de large. C’est un tapis de forme allongée en rapport avec les salons des anciennes maisons des familles utilisatrices de la région du Guergour.
L. Godon et A. Walter, auteurs de la contribution citée plus-haut ont noté ceci :
« Chaînes, trames et moquettes sont en laine soyeuse à fibres longues. Le travail est régulier et convenablement tassé ; on compte au décimètre 18 moquettes dans le sens de la longueur, et 18 dans le sens de la largeur, donc 324 points au dm2 ; mais il nous est arrivé d’en compter près de 500 au dm2 dans d’autres tapis. Les lisières formées de deux groupes de quatre fils de chaîne sont renforcées par des duites en poils de chameau. Les franges des chefs ont disparu. Les moquettes sont nouées sur deux fils de chaîne à la manière du point dit de Jordès, et sont coupées à 15 millimètres environ au-dessus du nœud. L’œuvre n’est pas datée, mais on croit qu’elle remonte à 1890 environ.
La composition est harmonieuse et la symétrie, suivant les deux axes, d’une rigueur étonnante. Une large bordure encadre le champ. Elle se compose de deux bandes de 13 centimètres de largeur enserrant une bande de largeur double. Le décor de ces deux bandes est constitué par une tige dont le tracé sinueux ménage à droite et à gauche des trapèzes occupés par une fleur épanouie et un bouton stylisé. Le motif est identique par le dessin dans les deux bandes, mais les couleurs, à l’exception de celles de la fleur et du bouton sont inversées. La bande intermédiaire est formée d’éléments très schématisés qui se répètent alternativement à droite et à gauche, et qui évoque une chenille posée sur un rameau fleuri. Le fond est un bleu soutenu, mais l’orangé des chenilles domine et heurte le coloris discret des deux autres bandes. Un listel étroit, formé par un chevron blanc sur fond rouge, entoure l’ensemble.
Le champ intérieur qui suit l’allongement de la pièce a été divisé pour éviter la monotonie. Il se compose d’un médaillon central hexagonal coiffé de deux écoinçons prolongés par deux rectangles. Le médaillon est garni à ses deux extrémités de crochets tournés vers l’intérieur, et le centre est occupé par un important massif floral où on distingue la marguerite, une fleur à long pistil qui pourrait être le lis, et une étrange fleur noire pointillée de blanc.
Le massif est prolongé à ses deux extrémités par un bouquet très stylisé où apparaît encore la fleur noire. L’espace resté libre est semé de svastikas noires mouchetées de blanc, et de petites théières à long versoir. Le fond est d’un rouge très dense.
Les écoinçons, largement étendus pour les besoins de la composition, sont entièrement recouverts par la répétition d’un même motif rouge à bord, tantôt orangé, tantôt blanc, finement découpé en dents de scie. Le fond, peu apparent, est bleu foncé. Cette surface uniformément couverte, qui évoque un tapis de feuilles mortes, est d’une tonalité générale très agréable.
Le champ se termine par deux surfaces rectangulaires à fond rouge semées de motifs isolés mais disposés de manière régulière. On y distingue le bouquet déjà employé dans le médaillon, la svastika, un motif purement géométrique, une fleur octogonale sertie d’antennes noires, et un motif à dominante jaune que nous ne pouvons identifier.
La tonalité générale du champ intérieur est un rouge violacé, très riche, tandis que l’orangé domine dans l’encadrement. Dans le détail les couleurs sont très variées, et ont toute été obtenues avec des colorants naturels. Bouazza n’a confié ses recettes à personne, pas même à son fils aîné ; il apportait lui-même ses produits et teignait ses laines en refusant toute aide et toute présence indiscrète ».
Enfin, pour plus d’informations sur le tapis du Guergour, la lecture du texte intégral de la contribution de L. Godon et A. Walter est recommandée. Une copie de cette contribution et un article récent intitulé : « la réhabilitation du tapis du Guergour est-elle possible ? » sont publiés sur le site web www.lemroudj.blog4ever.com, dans la rubrique culture. Il est aussi utile de consulter la thèse de Hamida Major (rédigée en arabe), intitulée : Le tapis du Guergour de la ville de Bougaa durant le 19e et le 20e siècle, préparée et soutenue pour l’obtention du diplôme de magistère, dont une copie existe au niveau de la chambre de l’artisanat et des métiers de Sétif. Beaucoup d’articles consacrés au tapis du Guergour sont publiés dans différents supports médiatiques.
Ecrit par Rachid Sebbah
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