Lakhtia
C'est un genre de restriction décidée par le comité du village (Thadjemaath) dès que les premières figues mûres apparaissent.
Avant la levée de la restriction, le comité désigne deux ou trois de ses membres pour faire le tour du village et demander à tous les hommes en âge de jeûner s'ils n'avaient pas cueilli de figues fraîches ou n'avaient pas vu d'autres le faire. C'était une façon de s'assurer du respect de la règle ainsi décrétée.
On jurait en disant "Je jure que je n'ai pas cueilli de figues fraîches, je n'en ai pas mangé et n'ai pas vu d'autres le faire".
Les contrevenants à la règle sont contraints à verser une amende symbolique dont le montant est fixé par le comité du village.
Sanctionner n'est pas le but de cette restriction ; mais c'est une manière de recommander à tous les habitants du village, quelque soit leur âge, de s'abstenir de cueillir des figues fraîches ou d'en manger pendant une période très courte. Cette restriction est levée dès que le comité du village estime qu'il y a suffisamment de figues mûres pour que tous les habitants puissent cueillir et en manger à leur guise.
Qu'en est-il de nos jours ? Cette pratique a complètement disparu avec le nouveau mode de vie. On applique la devise "Chacun pour soi et Dieu pour tous". Par ailleurs le nombre de figuiers a beaucoup régressé par rapport à il y a 10 ou 20 ans.
Pour rappel, le figuier est, comme l'olivier, l'arbre fruitier le plus adapté pour la région ; mais il est aussi très exigeant en matière d'entretien (labours, taille, pollinisation, etc).
Le manque d'entretien des figuiers a non seulement réduit leur nombre mais a aussi diminué de beaucoup leur rendement. Par le passé, les habitants du village couvraient très largement leurs besoins en figues et ils exportaient de grandes quantités notamment vers l'Europe. Aujourd'hui la production tend vers zéro à tel point que les exportateurs d'hier, ne trouvent plus de figues à se mettre sous la dent en pleine période d'automne.
Les enfants s'occupaient du ramassage des figues qui tombaient des arbres. Les adultes s'attelaient à faire tomber les figues mûres et à les faire sécher. Chaque matin, très tôt, les vieux de la famille faisaient le tri des figues ; ils ramassaient celles qui étaient sèches et les emmagasinaient. Quant aux autres figues qui nécessitaient un peu plus de temps pour sécher, ils les rassemblaient en vidant certaines claies (thidanchine, thidanchate au singulier) pour en remplir d'autres. Les claies vidées serviraient à accueillir les figues nouvellement cueillies et à mettre à sécher.
Parfois, lorsque toutes les claies étaient pleines, notamment quand la récolte était bonne, on avait recours à d'autres moyens tels que l'aménagement de parcelles rectangulaires ou carrées pas trop larges pour faciliter le tri. Ces parcelles de terrain étaient recouvertes de branches d'une plante appelée en kabyle "Thilouguith".
A noter que lorsque la pluie approchait, les membres de la famille se mobilisaient pour ramasser rapidement toutes les claies en les plaçant les unes sur les autres et on les recouvrait afin d'éviter que les figues ne se mouillent. Quant aux parcelles pleines de figues, on les recouvrait aussi et on les protégeait des éventuels ruissellements des eaux de pluies.
C'était une belle époque où les figues constituaient un appoint de nourriture et une source de revenu financier appréciable. Les figues fraîches étaient consommées chaque matin ; souvent, elles remplaçaient le café ou le lait. En hiver, il n'y avait pas de foyers dépourvus de réserves de figues placées dans des jarres en terre cuite appelées ikhoufane (Akhoufi au singulier) ou Thikhoufathine (Thakhoufith au singulier). La capacité de la jarre dite akhoufi est parfois le double ou le triple de celle de la jarre appelée Thakoufith.
Les revenus financiers rapportés par la vente des figues sèches servaient à s'acquitter d'abord des lourds impôts exigés par l'administration coloniale ; le reste permettait d'acheter des produits de première nécessité.
En effet, l'administration coloniale qui n'était d'aucun apport positif pour la population du village imposait lourdement ces derniers et ceux qui ne pouvaient pas payer de tels impôts se voyaient sanctionnés par le Caid (l'administrateur civile autochtone) et les gendarmes qui l'accompagnaient.
On raconte qu'un jour, un nommé Chérif Oussidhoum n'avait pas payé d'impôts. Le Caid, en présence des gendarmes et de certains habitants du village, lui ordonna de verser la somme due, séance tenante, sans quoi il jettera parterre les tuiles de sa maison. Chérif, n'ayant pas les moyens pour payer et très courageux, lui répondit que s'il touchait aux tuiles de sa maison, il ne se laisserait pas faire. Pour atténuer la surenchère, un notable du village s'adressa à Chérif en lui disant : "Le Caid te frappera comme il pourra le faire avec n'importe lequel d'en nous". Chérif lui répondit : "Il te frappera mais pas moi".
Il fallait du courage et beaucoup d'audace pour tenir tête au Caid et aux gendarmes. Mais l'injustice de l'administration coloniale était à son paroxysme à cette époque et de ce fait, certains habitants n'avaient pas d'autres alternatives que de s'y opposer plutôt que de se soumettre puisque le prix à payer était lourd (confiscation de biens ou emprisonnement).
Auteur : Rachid Sebbah
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