Sur les traces de l'ancienne architecture kabyle
A Lemroudj et dans les villages voisins, l'ancienne architecture des maisons kabyles mérite une attention particulière de notre part. Les vieilles maisons sont en voie d'extinction emportant avec elles leur architecture et les anciens instruments utilisés dans le passé. Certains matériaux et instruments cités ci-dessous seront donnés en kabyle.
En effet, les anciennes maisons sont différemment construites ; mais elles ont toutes des points communs qui seront mis en évidence ci-après.
Pour construire leurs maisons, nos ancêtres faisaient usage de matériaux locaux : pierre, terre argileuse, bois de cèdre et de peupliers, tuiles en terre d'argile cuite, etc.
La pierre est généralement préparée longtemps à l'avance avant de commencer les travaux de construction. Pour cela, après avoir repéré la carrière de pierre, les hommes concernés par le projet s'équipent de pioches, de massues, de leviers en fer, de pelles, etc. Ils exécutent eux-mêmes les travaux d'extraction qui peuvent durer plusieurs mois.
La pierre extraite est alors transportée à dos d'ânes ou de mulets jusqu'au lieu de la construction envisagée.
Comme pour la pierre, il faut désigner le lieu d'extraction de la terre d'argile à utiliser comme liant (le ciment n'était pas largement répandu comme maintenant).
Ensuite, on désigne le maçon parmi les enfants de Lemroudj ou des villages voisins, pour se concerter avec lui sur le plan de la future maison, les dimensions à retenir, le nombre de chambres et de lieux d'accompagnement, l'orientation, l'emplacement des portes et fenêtres, etc.
Une fois que le propriétaire de la future maison et le maçon sont d'accord sur tous les points précités ainsi que sur la rémunération de ce dernier, il est procédé à l'implantation du chantier en délimitant les pourtours.
La première action à entreprendre c’est creuser les fondations sous la direction du maçon. Ces fondations ont la forme de fossés d'une profondeur d'environ 1 m d'où les murs commencent à s'élever vers le haut sans aucun pilier ni ferraillage.
Une fois les fondations creusées, les travaux commencent ; par manque de moyens, ils peuvent durer quelques années.
La terre d'argile, mélangée avec un peu de paille et de l'eau, est utilisée au lieu et place du ciment. Ce mélange s'appelait en Allaut.
Pour obtenir des murs droits et bien alignés, le maçon taillait pierre par pierre en fonction du besoin. L’épaisseur des murs est de 50 cm afin que les pierres puissent s’enchevêtrer et permettre une meilleure protection du froid en hiver et de la chaleur en été.
Une fois les travaux de construction des murs terminés, le maçon réalise la charpente et la pose des tuiles et autres accessoires indispensables tels que les chevrons (Issevdharane, assavdhar au singulier), les traverses de peuplier (Ijagouane, Ajgou au singulier), le tapis d'osier déposé sur la charpente avant la pose de tuiles (Echoukka).
Les chevrons sont généralement choisis lors de la taille des cèdres. Comme traverses sont utilisés des troncs de peupliers coupés dans les champs du propriétaire de la future maison en construction ou acquis auprès d'autres familles. La traverse du milieu est appelée Akantas.
Quant aux tuiles romaines (Thikarmoudhine au pluriel, Thakarmout au singulier), elles sont fabriquées localement dans une tuilerie traditionnelle (Koucha qui signifie four).
Les portes et fenêtres sont aussi réalisées localement avec les moyens de l'époque et avec des planches souvent provenant du sciage de troncs d'arbres appartenant au propriétaire de la maison en construction.
S'agissant de l'architecture adoptée, elle est très peu différente d'une maison à une autre ; c'est selon les moyens des uns et des autres et en fonction de la superficie dont on dispose comme assiette foncière.
En kabyle, Akham signifie la maison. Mais dans la plupart des anciennes maisons on retrouve une grande pièce appelée aussi Akham. C'est généralement un salon d'une longueur d'environ 7 m (14 coudées) et d'une largeur de 5 m (10 coudées). Il y a de plus petits mais aussi de plus spacieux.
Akham, c'est la pièce maîtresse où se rassemblent tous les membres de la famille, mais aussi, un lieu où un Kanoun est creusé au niveau de la partie supérieure, loin de la porte d'entrée.
Le Kanoun sert à chauffer la maison en hiver, mais aussi pour faire cuire la nourriture et faire sécher les habits lavés ou mouillés. Le Kanoun, c'est une cuvette circulaire de 30 à 40 cm de diamètre et d'une profondeur de 20 à 30 cm. Aux alentours immédiats du Kanoun, sont placés trois morceasux de terre cuite appelés Iniyènes (Ini au singulier), sur lesquels on place la marmite et autres récipients et ustensiles utilisés lors de la cuisson de la nourriture.
Chez les familles aisées, on retrouve un Kanoun dans chaque pièce, y compris celles qui servent de chambre à coucher.
On chauffe avec du bois ; ce dernier est collecté durant l'été et l'automne et au besoin, les provisions sont complétées en hiver. Nos ancêtres étaient plus prévoyants que nous ; ils s'y prenaient 4 à 5 mois avant que l'hiver ne s'y installe.
Il n'y avait pas de cheminée ou de conduit de fumée ; cette dernière sort en s'élevant vers le toit de la maison, traversant le tapis d'osier et s'infiltrant à travers les tuiles. C'est là l'un des secrets de la maison kabyle ; le toit permet à la fumée de s’échapper vers l’extérieur et empêche le froid de pénétrer à l'intérieur.
Dans ce grand salon, les femmes travaillent la laine, tissent des tapis de laine (Ikhallalane N'tadhout, Akhallal au singulier), des habits à base de laine tels que le Burnous (Avarnous ou avidhi) porté par l'homme. Thakhalalt c'est un petit tapis que la femme portait pour se protéger du froid ou se couvrir de la pluie.
Dans cette grande pièce on retrouve aussi :
- Des jarres en terre cuite servant à stocker du blé, de l'orge, de la
semoule, des fèves, des figues sèches, etc. Les grandes jarres sont
appelées Ikhoufane (Akhoufi au singulier) et les petites
jarres, thikhoufathine (Thakhoufith au singulier).
- Eddoukan, genre de placard sans porte qui sert de buffet pour ustensiles.
- Boukachach, en bois, pour accrocher les tamis.
- Assakkoun (corde en fil de fer) utilisé pour accrocher les oignons et l'ail afin de les conserver pour l'hiver. Cette corde est placée juste au dessus du Kanoun pour que l'oignon et l'ail se conservent longtemps et bien.
- Igagane (Iguig au singulier), morceau de bois, cylindrique et rigide, d'une longueur d'environ 60 cm et de 8 à 10 cm de diamètre. Ces derniers sont implantés dans les murs du salon pour accrocher des objets divers notamment Thagachoult (genre de sac en peau de mouton et servant à transformer du lait caillé en petit lait et du beurre). Thafkloujth est également utilisée pour transformer du lait caillé en petit lait et beurre frais. C'est un genre de citrouille qui ne se mange pas ; la coque, débarrassée de ce qu'elle contient comme grains et autres, est séchée à l'ombre.
- Azata (Izatouane, au pluriel), métier à tisser traditionnel.
- Adaynine, local mitoyen au salon, servant d'écurie pour la vache, les chèvres et les brebis possédées par la famille. Le salon et l'écurie ont
une porte d'entrée commune et communiquant entre eux. Le plancher du salon, appelé aghouns, est surélevé d'environ 40 à 50 cm par rapport au local servant d'écurie. Aghouns est suffisamment lisse, fait avec de la terre mélangée à de la bouse de vache. Les murs du salon sont également revêtus d'abord avec de la terre d'argile puis avec du gypse (Djebs) leur donnant la couleur blanche qui noircit rapidement sous l'effet de la fumée du Kanoun.
Pour accéder au salon, on passe par Idhavdhar qui n'est autre que la différence de niveau entre le plancher du salon et celui de l'écurie. Cette surélévation empêche les rejets des animaux de remonter vers le plancher du salon. Le fumier et ordures ménagères sont évacués vers les champs par les habitants de la maison.
A noter ici que ce type de construction permet de rationaliser le chauffage en hiver d'une part et de s'occuper de la vache, des chèvres et des brebis pendant la nuit. On leur donne à manger et on les visite sans sortir dehors ; c'était une façon de se protéger du froid.
D'ailleurs, le mur séparant le salon de l'écurie comporte une issue d'accès immédiatement à l'entrée de la maison et à gauche, une autre ouverture un peu plus loin près du mur d'en face. Ces deux issues permettant de donner à manger aux animaux et de faire bénéficier ces derniers du chauffage du kanoun et faire profiter les habitants de la maison de la chaleur dégagée par les bêtes elles mêmes.
Au dessus du local servant d'écurie, on retrouve souvent un petit grenier (Thaarichth). C'est là où l'on dépose les produits destinés à la consommation tels que grenades récoltées en automne, viande séchée, etc.
La porte d'entrée principale de la maison possède Amnar, un genre d'arrêtoir en pierre d'environ 20 cm pour empêcher les eaux de rentrer à la maison en hiver.
Le salon possède une autre petite porte du coté Nord Est dite Thawourth thamaziante ou Thakablith permettant l’aération naturelle et le raffraîchissement du salon en été. Ce dernier a aussi une petite fenêtre pour la lumière du jour et l'aération.
Chez les familles plus aisées, outre ces deux pièces, on trouve deux à trois autres chambres assez vastes, une petite pièce servant de cuisine, une salle d'eau et une pièce appelée askif, par laquelle on accède à la cour et aux autres chambres. La cour, généralement au centre avec un pied de vigne de table, est très utile.
Askif, posséde une grande porte assez large, comportant deux ouvrants dont l'un d'entre eux est muni d'une petite porte. Askif comporte un passage d'environ 1,5 m de large, un espace surélevé de près de 75 cm par rapport au passage et d'un lieu où l'on dépose les petits fûts d'eaux en bois (Thivatiyine, Thavattith au singulier) ; c'est là aussi où l'on accroche les outres d'eau (Iyadidhane, Ayadidh au singulier).
Sous les outres, on dépose des assiettes en terre cuite (Ichakfane, Achkouf au singulier) pour récupérer l’eau qui s’égoutte. Une rigole est prévue pour permettre à l'eau de ruisseler et de sortir à l'extérieur de la maison).
Ce type d'architecture est encore visible au niveau des vieilles maisons en ruines. Dommage, aucune restauration n'est envisagée ni par les propriétaires eux-mêmes ni par les services étatiques concernés par la culture et sa protection. Le jour où l'on se rendrait compte de l'importance de ce patrimoine culturel, il serait peut être trop tard pour agir. Donc, autant le faire dès maintenant !
Auteur : Rachid Sebbah
A découvrir aussi
- Lemroudj, les élèves de l'école coranique primés
- Nissane, période du calendrier agraire
- Célébration de Yennayer 2965
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 109 autres membres